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Luc Bigéoffline

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    Luc Bigé

    3 years, 8 months ago

    Liberté et Histoire

    L’histoire des peuples et des civilisations semble souvent chaotique, dominée par le hasard et le jeu des puissances. D’où un sentiment de fatalité collective qui conduit parfois les individus à s’occuper de leurs affaires, tout en subissant passivement les conditions du monde. Existe-il des lois qui organisent l’histoire ? Comment s’émanciper de la fatalité historique ? Est-il possible d’envisager un destin commun à l’humanité ? Ce sont ces questions que nous discutons ici.

    Une conquête
    La liberté n’est pas une donnée naturelle, elle se conquiert. Les reptiles n’ont pas d’autre choix que de réagir immédiatement aux conditions de leur environnement pour assurer la défense de leur territoire, leur nourriture et la reproduction de l’espèce. Les mammifères qui jouent avec leurs petits et savent migrer en cas de disette, ou hiberner puisque la nature a aussi développé cette possibilité, ont déjà une liberté plus grande. Le jeu, les grands déplacements hors du milieu d’origine et l’ermitage sont des manières de se libérer de la pression de l’environnement. C’est le signe d’une conscience capable de s’extraire du contingent. Avec l’être humain cette liberté, cette capacité de s’extraire de la réalité immédiate, explose. L’imagination, la pensée, le rêve, la poésie, l’art, la culture, le théâtre et les prières offertes aux dieux et aux morts témoignent d’une immense capacité de l’homme à se représenter le monde, à se libérer de l’immédiateté pour choisir et créer des méta-réalités qui siéent à ses désirs, cela au risque de la toute-puissance. L’idéologie, qu’elle soit laïque ou religieuse, en est la forme la plus aboutie puisque qu’elle est capable d’écraser le réel en imposant sur monde ses propres fantasmagories.

    Si la liberté est le fruit, encore en train de mûrir, d’une évolution naturelle qui va du reptile jusqu’à l’homme, son usage est encore très primitif. Et, dans une lecture platonicienne, si la liberté est un archétype qui se révèle progressivement à travers la complexification croissante des organismes biologiques, sa prise en main par la conscience des individus et des peuples est encore très immature. Beaucoup la considèrent comme un don de la nature (ou du ciel) en la posant comme un absolu indiscutable tout en étant prisonniers des filets inextricables de leurs histoires personnelles et transgénérationnelles, ainsi que des liens tissés par leurs groupes ethniques, nationaux et continentaux. Alors le cristal de liberté s’échappe et se tarit dans l’imagination et l’individualisme.

    Comme en science, c’est la connaissance des lois qui rend libre et créateur. Comme en psychologie, c’est la prise de conscience de ses conditionnements familiaux qui rend libre et créateur.

    Liberté et histoire
    Et en histoire ? Tout dépend de la manière d’observer et de concevoir le passé. Une lecture fondée sur la contingence, le hasard et les jeux de rivalité produit une histoire chaotique, dénuée de sens et imprévisible. Cela n’offre aucune prise collective sur le futur tout en donnant l’illusion de la toute-puissance aux plus riches, aux plus habiles et aux plus ambitieux. Puisqu’il n’existe pas de lois dans l’histoire tout devient possible, le pire est alors le plus probable car les intérêts des catégories précitées relèvent rarement du bien commun. Si nous avons une lecture marxiste de l’histoire, la liberté se cache dans la capacité de l’homme à bien comprendre le modèle idéologique et à avoir le courage de le mette en œuvre. Le marxisme est un messianisme sans dieu, il reprend la conception du temps de saint Augustin qui pensait l’avenir comme devant être l’accomplissement de la volonté de Dieu grâce à la médiation volontaire du peuple des croyants. La liberté se réduit alors à deux paramètres : la bonne et la mauvaise interprétation des textes. Ces deux représentations de l’histoire sont matérialistes. La première, fondée sur la rationalité objective, imagine qu’il n’y a que les chocs des peuples et des hasards des découvertes qui génèrent le monde dans lequel nous vivons ; la seconde, le marxisme, pense l’organisation matérielle et la lutte des classes comme des moteurs pour l’avènement, toujours lointain, d’un paradis fraternel fondé sur l’abondance de biens partagés. Dans le premier cas, la liberté de l’individu est totale au risque de l’hubris, mais celles des collectivités est nulle car elle est soumise au chaos et à l’aveuglement tyrannique du temps court ; dans le second cas il existe un seul degré de liberté : avoir raison ou se tromper.

    Pourtant l’être humain n’est ni un pur objet mécanique rationnel, ni un simple mammifère se consolant dans un paradis consumériste. Il a le sens de l’infini. Parfois la conscience de cet infini le fascine, d’autre fois de sourdes angoisses l’étreignent. A vrai dire peu importe sa réaction puisqu’un Appel le taraude. Cette émergence de la transcendance fait aussi histoire : c’est celle de l’âme des peuples qui s’appuie sur le peuple des âmes.

    Alors l’histoire sera aussi une conséquence de l’action des forces qui ont un pouvoir organisateur sur les âmes. Comme en science et en psychologie, c’est la connaissance de ces lois qui nous rendra libre. La rationalité scientifique rend merveilleusement compte du fonctionnement absolument contraint des choses, les lois de la psychologie décrivent avec précision les possibilités des sujets qui souhaitent affirmer des choix éclairés dans leurs vies personnelles, les lois de l’histoire ouvrent une nouvelle possibilité : celle de créer un futur en accord avec les besoins de la nature et humaine et en harmonie avec les demandes de l’Esprit du temps. Sans cela, il n’y aurait que l’hubris de quelques un et le sentiment d’impuissance de tous les autres ; à moins que ne domine une idéologie toute-puissante, déconnectée de la réalité sensible, d’un groupe de penseurs au détriment d’une masse d’individus livrés à un sentiment de fatalité. Entre le néolibéralisme sauvage à l’américaine et le totalitarisme idéologique à la chinoise il est possible de penser une troisième voie. Une voie fondée sur l’âme des peuples alimentée par le peuple des âmes, nourrie par ceux et celles qui sentent l’Appel de l’infini.

    Alors la sécheresse objective de l’approche scientifique de l’histoire et l’imagination déréalisante des idéologues de tous bords s’effacera progressivement pour ouvrir à chacun, selon son libre choix, la possibilité ou non de répondre à cet Appel, au nom de l’Esprit pour le bien du collectif. Le long terme, qui entre en scène ici, favorise et demande une pensée impersonnelle puisque nombreux sont ceux qui ne verront pas le fruit de leurs actions. Les périodes de mille ans et de près de deux siècles qui organisent l’histoire longue dépassent largement les questions de retour sur investissement et demandent un amour fou du futur de l’homme. Ce sont des qualités de l’âme.

    Quelles sont ces lois de l’histoire qui ont le don de nous rendre libres si nous apprenons à les connaître ? Et quelles sont les conditions de cette liberté ?

    Fatalité et destin
    Patiemment, pas à pas, avec la lenteur de l’escargot et la minutie du tisserand nous tentons dans une série d’ouvrage consacrés à l’impact des archétypes sur l’histoire d’en dégager quelques fondamentaux, notamment les modes d’expression des trois formes de conscience-énergie qui animent l’âme des peuples : la Liberté (Uranus), l’Amour (Neptune) et le désir de Puissance (Pluton) .

    Si l’outil de la science est l’observation expérimentale dans le laboratoire, si l’outil de la psychologie est l’écoute de l’autre dans le cabinet de consultation, l’outil de la libération dans l’histoire sera la sensibilité à la Présence de ces consciences-énergies dans la vie ordinaire. L’œil, l’oreille et la peau sont nos guides vers notre émancipation de la dureté des choses, de la pression de l’inconscient individuel et des grands courants de forces qui nous laissent croire que l’histoire est une fatalité.

    L’œil voit et élabore des modèles du monde, l’oreille écoute et métamorphose des peurs ancestrales, la peau sent et s’ouvre au Mystère du tout autre. Ce « tout autre » est représenté par les nombreuses consciences-énergies qui zèbrent, en quelque sorte, le monde imaginal et induisent les mouvements de notre histoire collective.

    Leur formalisation nous aidera à transformer la fatalité en destin. La fatalité est le fruit de l’ignorance du passé joint au poids des choses déjà produites. La pression des habitudes et les rancœurs du passé sont des évidences rarement questionnées par nos cultures. Le christianisme et l’inquisition fut l’une d’elle pendant mille ans, le capitalisme et la domination de la nature en est une autre aujourd’hui. Quant au destin, il se comprend mieux en relisant la proposition d’Hegel :

    « La fin générale avec laquelle commence l’histoire est de donner satisfaction au concept de l’Esprit. Mais cette fin n’existe qu’en soi, c’est-à-dire comme nature : c’est un désir inconscient, enfoui dans les couches les plus profondes de l’intériorité, et toute l’œuvre de l’histoire universelle consiste, ainsi qu’il a déjà été dit, dans l’effort de le porter à la conscience. L’homme fait son apparition comme être naturel se manifestant comme volonté naturelle : c’est ce que nous avons appelé le côté subjectif, besoin, désir, passion, intérêt particulier, opinion et représentations subjectives. Cette masse immense de désirs, d’intérêts et d’activités constitue les instruments et les moyens dont se sert l’Esprit du Monde pour parvenir à sa fin, l’élever à la conscience et la réaliser. Car son seul but est de de se trouver, de venir à soi, de se contempler dans la réalité. C’est leur bien propre que peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissant vitalité, mais en même temps ils sont les moyens et les instruments d’une chose plus élevée, plus vaste qu’ils ignorent et accomplissent inconsciemment. […]

    Mais dans le cours de l’histoire elle-même, cours que nous considérons comme progressif, le côté subjectif, la conscience n’est pas encore à même de saisir qu’elle est la pure fin ultime de l’histoire, le concept de l’Esprit. Ce concept n’est pas encore le contenu du besoin et de l’intérêt de la conscience ; celle-ci n’en est pas consciente, et pourtant l’Universel est présent dans les fins particulières et s’accomplit par elles. »

    Pour synthétiser cette citation Hegel disait que « l’Histoire est l’acte par lequel l’Esprit se façonne à travers l’événement ». Cette proposition du philosophe permet de penser l’histoire comme la conséquence d’une conscience-énergie qui cherche à se connaître elle-même en suivant ses propres lois. Elle justifie également la lecture symbolique des événements historiques qui sont alors des reflets physiques des besoins de l’Esprit du temps.

    Lorsque la conscience humaine réalise que ses jeux mondains ne sont pas une finalité dans l’univers, mais seulement un moyen qu’utilise l’Esprit du temps pour réaliser pas à pas sa propre nature, la fatalité peut se retourner en destin. Car notre liberté consiste à apprendre à coopérer avec cet Universel actif dans chacun de nos événements passés, présents et futurs afin que la conscience de l’univers puisse se révéler à elle-même. Notre conscience individuelle en est à la fois une minuscule partie et représente le levier de cette révélation. Notre liberté consiste à accomplir à notre mesure, si immensément modeste, le destin de l’univers, à choisir de répondre de plus en plus précisément aux besoins de l’Esprit du temps en nous émancipant de la fatalité qui est née du poids des mémoires du passé et des habitudes. Et l’outil de cette liberté sera une augmentation sans précédent de notre sensibilité, dans le sens de la finesse, au monde du Mystère. Car la conscience de l’univers qui se révèle à elle-même n’est pas une question de désir, de pensée, d’intelligence ou de jouissance. Ce ne sont là que ses moyens d’expression.

    L’universel devient progressivement conscient de lui-même grâce à nos fins particulières en suivant les lois de sa propre nature. Ce sont ces lois qui sont codées, du moins en partie, dans le jeu des archétypes mis en scène dans la grille de lecture astrologique. La reconnaissance sensible de ces lois nous ouvre la possibilité de coopérer consciemment avec le monde du sens et de métamorphoser le chaos de l’histoire en un processus de révélation progressif de l’Esprit.

    Luc Bigé

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