L’androgynie primordiale
A l’heure où les théories du genre investissent les débats de société, un regard sur l’histoire des civilisations peut nous aider à creuser notre réflexion.
Presque toutes les traditions antiques proposent le mythe de l’androgyne, l’humain du commencement, à la fois mâle et femelle. Souvent on lui fait porter la responsabilité de sa chute, de sa scission intérieure, de l’inéluctable déchirure, comme résultat d’un châtiment divin. D’anciens textes hébraïques racontent qu’Adam et Eve étaient à l’origine liés par le dos en un être unique, à la fois mâle et femelle. Et que Dieu les a séparés d’un coup de hache.
Selon Mircéa Eliade[1], l’androgyne incarne le « mystère de la totalité », et la perte de cet état révèle la profonde insatisfaction humaine. L’humain semble en effet porter en lui un sentiment d’incomplétude, de déchirement, un manque qu’il se perd à vouloir combler. Ainsi trouve-t-on dans l’évangile de Thomas : « Lorsque vous ne ferez des deux qu’un, et que vous ferez le dedans comme le dehors, et le haut comme le bas. Et si vous faites le mâle et la femelle en un seul, afin que le mâle ne soit plus mâle et la femelle ne soit plus femelle, alors vous entrerez dans le Royaume de Dieu ».
De nombreuses divinités sont représentées comme androgynes. Ainsi de quelques Aphrodite barbues[2], Shiva qui prend l’aspect d’Ardhanaraisvara[3], le Nil qui est incarné par un personnage masculin doté de seins[4], la Pierre Philosophale[5] qui est nommée « Rebis »[6], c’est-à-dire « l’Etre double », le phénix chinois qui est hermaphrodite et certaines sphynges étrusques qui portent des barbes [7]. Quant à Yahvé il est parfois nommé El Shaddaï, celui qui porte des seins.