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Cosmogonie Africaine
L’origine des Masques wê d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Liberia)
(D’après J. Girard)
La descente des Tingnons (ancêtres) sur la terre et l’origine du totem gban et des Masques.“Les Tingnons (ancêtres) arrivèrent sur terre avec pour tout bagage culturel le gban (totem) du dieu Kéla.
En leur existence céleste, les hommes n’étaient que de purs esprits. Mais, semble-t-il, un individualisme primordial régnait car, dit le mythe, lorsqu’au jour fixé par la gàti (destin) du monde, Kéla (dieu) ordonna et organisa la Dyâhôdinyôglonyo, ou Dyàdinyônisinu (descente des ancêtres sur la terre), il groupa les Tingnons (premiers ancêtres) par familles, de sorte que chacune d’elles ne forma qu’un esprit unique.Il pensa à leur donner un corps fait de chair et de sang, sans lequel toute vie terrestre est impossible. A cet effet, il appela à lui et destina à chaque unité spirituelle un animal d’espèce déterminée, donc un être soumis au principe de Zédé (la matière, la terre). Il le courba sous sa loi, l’incorpora au règne céleste de sorte qu’il devint pour la famille Tingnon (ancêtres) qui s’incarna en lui, le symbole de l’alliance divine, le support matériel de toute vie, autrement dit le gban, le totem.
A ce stade, l’esprit du lignage était UN. Il possédait en puissance le devenir de la race, mais la singularité des individus n’existait pas.
Incarné en son gban ou totem, grâce à cette enveloppe charnelle, l’esprit unique de chaque famille Tingnon (ancêtres) gagna la terre. L’homme ou plutôt son ancêtre était alors composé pour une part de l’esprit divin de Kéla (Ciel), et pour une autre, du corps matériel soumis à Zédé (terre), inféodé pourtant à Dieu. Il disposait du corps animal du gban (totem), et d’une âme appelée Zouh, essentiellement immortelle puisque d’essence divine et indifférente au devenir terrestre.Ainsi se forma la première race d’hommes. Ils étaient des humains par leur esprit, mais des animaux par leur apparence. Tous rejoignirent la terre, quittant le ciel, l’un après l’autre et touchèrent le sommet des montagnes nombreuses dans la région de Man où les Tingnon (ancêtres) s’installèrent.
Ils se trouvèrent immédiatement aux prises avec la Nature et plus spécialement avec le Guinarou ou Zédé (terre), symbole de l’éternel recommencement, de la transformation des choses et de l’illusion des apparences. Pour les plier à sa loi, il tentait de les réintégrer au monde animal.”
Monstrueuse, puissante, envahissante, la brousse menaçait de submerger les premiers et rares Tingnons (ancêtres) qui, disposant du seul gban ( totem, symbole de l’alliance), se trouvèrent rapidement incapables de se défendre.
Alors intervinrent les génies Kosris, étincelles divines. Purs esprits, ils durent se matérialiser pour se manifester aux Tingnons (ancêtres) et adoptèrent des traits et une apparence humaine.
C’était, dit la tradition : ” … de petits hommes rougeâtres, robustes, bien proportionnés, agréables à regarder. ” Surgissant de la brousse, ils complétèrent la loi divine par des règles propres au monde terrestre : celles de la guerre, de la justice, de la recherche des coupables, de la paix entre individus, etc., en résumé de la vie en société.
Chacune de ces lois (kê) fut remise aux hommes par un Kosri (étincelle divine) déterminé. Elle était symbolisée par un Grand Masque fait à l’image du génie donateur.
Si l’octroi du masque permettait à l’ancêtre de l’homme, du fait de l’ambiguïté de son être, l’option individuelle entre Kéla et Zédé (le ciel et la terre), il apportait en même temps le salut collectif du groupe, toujours considéré comme Un, car du même sang que le gban (totem). Il renforce l’opposition cosmogonique. Il isole le groupe humain de la nature, Kéla de Zédé (le ciel de la terre), l’homme de la femme.
Il (le masque) est essentiellement visage humain (et non représentation animale) puisque de lui découle l’apparence humaine des Siangnon (hommes). Il est plus précisément visage masculin, car il est création (dans la mouvance de Kéla (ciel) alors que la femme est maternité (dans une certaine mesure assimilée à la terre par sa fécondité et, de ce fait, rattachée à Zédé (terre).
C’est pourquoi la vue du masque lui est interdite. Kéla et Zédé (le ciel et la terre), bien que complémentaires, sont irrémédiablement antagonistes. Leur fusion serait leur destruction.Loi après loi, masque après masque, les Wé rassemblèrent ainsi la totalité de leur spiritualité. Cette réception ne fut pas toujours agréable, car les Kosri (esprits du ciel), bien que beaux et puissants, étaient méchants, et faisaient entrer à coups de chicotte dans la mémoire des hommes récalcitrants les lois qu’ils leur apportaient. Ces lois constituent ce que les We désignent sous le terme de Srihakê, c’est-à-dire la Loi des Masques.
Elle renferme en elle le destin de l’humanité. Parce qu’elle fut octroyée aux ancêtres des hommes, ceux-ci devinrent des humains. En même temps qu’elle permettait la transformation des Tingnon (ancêtres) en Siangnon (hommes) donnant à ceux-ci un visage humain définitif, elle déterminait leur destin.
La Srihakê (loi des masques) construisait et organisait la société humaine. Son but essentiel était de permettre au gbâhidyue (humanité) de conserver le souvenir de son origine céleste face au monde informe et chaotique de la brousse qui risquait à tout instant d’éteindre la faible étincelle culturelle de génie humain.
Maintenir la loi des hommes fut difficile et pressant le désir de s’intégrer au monde naturel en cédant aux entreprises du Guinarou (esprits de la terre). Celui-ci multipliait ses séductions. Toutes proportions gardées, cette tentation était celle du péché (Dyikua, Senyôni).
Chaque masque a une tâche bien déterminée, dérivant de la loi qu’il concrétise. En même temps que les Grands Masques, les Tingnons (ancêtres) reçurent des Kosris (esprits célestes) les sociétés secrètes ou sriti.
Elles (sociétés secrètes) arrivèrent divisées en deux groupes distincts, une moitié puisant sa force dans celle des ancêtres et formant les Sociétés secrètes des Grands Masques (Srikiahi et Gla), se subdivisant elles-mêmes en autant de sriti (société secrètes) qu’il y a de villages adeptes. L’autre moitié fut soumise à la puissance des kôhu Koui [kwi] dérivant de celle des Kosri (esprits du ciel).
Le partage de la société Wé en Srikiahi (grands masques) et société secrète Koui (issu des Kosris ou esprits du ciel) semble révéler l’existence d’une ancienne structure dualiste des gbâhidyue (humains). En effet à l’heure actuelle encore, il est recommandé d’unir entre eux, par le mariage, des jeunes gens appartenant l’un à un village à Grands Masques, l’autre à un village Koui.
Les époux bénéficiant de la puissance des ancêtres et de celle des Koui , leurs enfants sont en principe plus beaux et plus forts que les autres.
Bien que ne tirant pas leur puissance de la même source, tous les masques remplissent un rôle social. Ainsi Koma appartenant à la Srikiahi (grands masques), et Gamgansri (gâgâsri) faisant partie de la société secrète Koui (issu des Kosris ou esprits du ciel) participent tous deux à la recherche et au châtiment des sorciers.
Après Volohuadyi, lorsqu’à la suite de Gnon Soa les Siangnons (hommes) descendirent des montagnes, sortirent des forêts et gagnèrent l’actuel pays Wé, ils emportèrent avec eux le gban (totem) symbole du dieu kela (Ciel) et les Grands Masques des génies Kosri, expressions concrètes de la Srihakê (loi des masques).”
Il semblerait d’après le mythe que, de même que leurs ancêtres, les Siangnons (hommes) oublièrent et le gban ou totem (symbole de l’alliance) et la Srihakê (loi des masques). Ils en furent châtiés car beaucoup moururent d’avoir voulu consommer la chair du gban (totem) et les autres furent contraints de travailler sans daba (bêche africaine) lesplantations et de chasser sans armes.”
Sous la forme de Gnon Soa, l’esprit des ancêtres révéla aux hommes les lois des Kosris (esprits ou génies du ciel). Suffisantes pour les Tingnons (ancêtres), elles ne l’étaient plus pour leurs descendants, aussi dut-il les compléter, et remit-il aux Siangnons (hommes) les “Petits Masques” faits à son image.”
L’origine des masques Wé est donc double, provenant de deux sources distinctes à des époques différente: les Kosri (génies) et Gnon Soa.
Mais de nouveau, les hommes oublièrent les lois, et cette fois Gnon Soa ne pardonna pas. Chaque fois qu’un gbâhidyue (humain) transgressa un principe fondamental, il lui retira le masque correspondant.C’est pourquoi à l’heure actuelle, certains masques font défaut à certains villages We. Comme aucun d’entre eux n’a pas eu suffisamment de sagesse pour respecter l’ensemble des lois, aucun ne possède la totalité des masques.